Un regard sur l’agriculture québécoise et quelques questions sur son avenir.

NOTE : Une version pdf avec les illustrations est disponible ici : un regard sur l’agriculture du Quebec .

La période 2007-2012 a vu des changements très importants. La crise financière de 2008-2009 a conduit à un environnement exceptionnel de taux d’intérêt bas, qui, au Canada, a été couplé au maintien d’un accès au crédit relativement aisé grâce à la force des banques canadiennes. Simultanément, l’évolution structurelle des marchés agricoles s’est traduite par un régime de prix historiquement élevés. Tout cela a créé une situation bien particulière qui pourrait déterminer de manière marquante les trajectoires possibles de l’agriculture Québécoise dans le futur.

Tout d’abord, nous analyserons la manière dont la situation financière globale de l’agriculture québécoise a évolué entre 1991 et 2012 à l’aide des données de Statistiques Canada. Nous débuterons avec l’évolution i) des recettes agricoles, de la dette agricole et du BAIIDA agrégé (Bénéfice avant Impôt, Intérêt, Dépréciation et Amortissement), et ii) de la valeur agrégée des actifs agricoles, exprimés en dollars constants 2007.

Les éléments les plus marquants sont :

i)            La relative constance du BAIIDA,

ii)            La hausse significative de la dette et de la valeur agrégée des actifs, notamment entre 1994 et 2002,

iii)            La baisse du taux d’intérêt moyen de la dette.

La période 1994-2002 a vu le développement remarquable de la production porcine au Québec grâce à un effort concerté de l’ensemble des acteurs de la filière. Par ailleurs, durant la même période, le marché des quotas des productions sous gestion de l’offre a connu un changement majeur quand le quota est devenu un actif pouvant être pris en garantie pour fins de financement. Initialement sur 5 ans, l’amortissement du quota s’est rapidement rendu à 7, puis 10 et même 12 ans. Cela, couplé à des taux d’intérêt décroissants, s’est traduit par un accès aisé au crédit, conduisant à une hausse des prix du quota, les achats étant essentiellement faits à la marge.

En analysant la marge de BAIIDA (BAIIDA / Recettes agricoles), nous notons une diminution prolongée. Celle-ci ne s’est renversée légèrement que récemment quand les prix agricoles ont atteint des sommets historiques.

Par ailleurs, les prix des intrants agricoles ont, le plus souvent, augmenté plus rapidement que les prix des produits agricoles. Ainsi, les gains d’efficacité n’ont pas été suffisants pour couvrir la hausse du coût des intrants ou ont tout juste pu la compenser.

Dans le même temps, le ratio Dette / Recettes agricoles a augmenté régulièrement tout comme le ratio Dette / BAIIDA. Cependant, grâce au bond des prix agricoles après 2007, les deux ratios se sont stabilisés mais le niveau sous-jacent de la dette reste élevé.

Pour clairement apprécier l’impact de ces prix agricoles élevés, nous avons estimé la croissance de la production agricole physique agrégée au Québec. Nous retiendrons quelques tendances intéressantes. La première, et la plus remarquable, est la divergence du rythme de croissance du bilan (dette et actifs) de celui des ventes agricoles depuis 1997. Par ailleurs, la croissance de la production agricole agrégée stagne depuis 2007, principalement en raison de l’absence de croissance dans les productions animales.

Pour mettre les éléments précédents en perspective, nous calculerons l’impact d’une hausse du taux d’intérêt et d’une baisse des recettes agricoles en fixant la production et la dette agricoles au niveau de 2012.

Si les prix agricoles étaient au niveau de la moyenne 2010-2012, les ventes agricoles (excluant les paiements directs et basées sur la production 2012) baisseraient de 5.5%. Sur la base d’un contexte de prix similaire, nous faisons l’hypothèse que les paiements directs représenteraient 10% des ventes. Au final, les recettes agricoles totales baisseraient de 6%, et le BAIIDA chuterait de près de 20%.

Si le taux d’intérêt moyen était majoré de 100 pb (1%), les dépenses d’intérêt augmenteraient de 25%.

La combinaison des deux chocs résulterait en une chute de 29% du revenu net agrégé dégagé par l’agriculture québécoise.

Que pourrions-nous dire de l’agriculture québécoise aujourd’hui ?

Sa production physique semble stagner.

Son efficacité a décliné pendant longtemps.

Malgré tout, les valeurs de ses actifs et sa dette ont crû très fortement.

En conséquence, elle pourrait être surexposée à une quelconque hausse du taux d’intérêt moyen et/ou baisse des prix agricoles.

Tout cela soulève quelques questions sur l’avenir de l’agriculture québécoise

Combien de temps cette combinaison unique de prix agricole élevés et de taux d’intérêt bas peut-elle durer ?

Nous avons vu que des chocs simultanés sur ces deux variables auraient un impact significatif sur l’agriculture québécoise. Répondre à cette question est primordial pour évaluer le risque d’une crise sévère dans l’agriculture québécoise dans le futur proche. Cela est d’autant plus pertinent quand on considère les capitaux additionnels requis pour juste assurer le transfert des actifs des fermes sortantes, soit à la relève, soit à des fermes existantes.

Comment l’agriculture québécoise peut-elle augmenter sa production ?

Démographie et mode de consommation impose des résistances à la croissance dans les productions contingentées. Il pourrait y avoir des opportunités pour l’industrie du bœuf si seulement une véritable filière pouvait se structurer. Le secteur des grandes cultures a encore un potentiel de croissance intéressant. Quant à la production porcine québécoise, la croissance sera déterminée par la capacité des transformateurs d’accroître leurs parts de marché tant sur les marchés domestique que d’export, posant ainsi la question de la compétitivité des fermes porcines.

Comment l’agriculture québécoise peut-elle améliorer son efficacité ?

La réponse à cette question sera nécessairement différente d’une production à l’autre. Néanmoins, des investissements seront très certainement requis pour trouver la bonne combinaison d’économies d’échelle et d’innovations dans la production [productivité], dans la commercialisation [création de valeur] et la gestion.

Cependant, des incertitudes demeurent quant à la capacité d’investissement future des fermes québécoises. Y a-t-il assez de fermes capables de supporter les investissements nécessaires ? Si oui, comment les renforcer ? Si non, quel serait l’impact d’une agriculture plus petite au Québec ?

Cela a déjà été dit par d’autres : l’agriculture québécoise a besoin d’une vision, d’une stratégie et d’une politique publique appropriée.

A look at Quebec agriculture and some questions about its future

A pdf version with illustrations can be found here : A look at Quebec agriculture and its future.

The period 2007-2012 saw tremendous changes. The financial crisis of 2008-2009 has led to an exceptional environment of low interest rate, which, in Canada, has been coupled with a relatively open access to credit thanks to the strength of Canadian banks. Meanwhile, the evolution of the fundamentals of agricultural commodities markets has translated into a regime of historically high prices. This has created a very peculiar situation which may determine the possible trajectories of Quebec agriculture into the future.

First, we will have a look at how Quebec agriculture evolved over the 1991-2012 period with respect to its aggregate financial situation, based on data from Statistics Canada. When charting the evolution of farm cash receipts, farm debt, farm assets value and aggregate EBITDA (Earnings before Interest Taxes Depreciation and Amortization), and of the value of farm assets , all expressed in chained dollars (2007), the most striking elements are :

i) the relative flatness of EBITDA expressed in chained dollar,

ii) the significant increase of assets aggregate value and debt especially over the 1994-2002 period,

iii) the decrease in interest rate.

The 1994-2002 period saw the remarkable development of hog production in Quebec thanks to a concerted effort of all stakeholders. Besides, it is during that same period that the quota markets of supply-managed production experienced a fundamental change when quota became an asset that could be pledged for financing purpose. Initially amortized over 5 years, quota quickly got to 7, 10 and finally 12 years amortization. This, coupled with decreasing interest rate, led to an easy access to credit, driving quota price up as most of the purchases were marginal in nature.

Analysing the EBITDA margin ratio (EBITDA / Farm cash receipts), we note a decrease over time. This has only be reversed slightly over the last 5 years with farm product prices reaching historically high levels. Farm input prices have outpaced the increase in farm product prices most of the time. Then, efficiency gains have not been enough, or just helped, to cover the increase in input costs.

Meanwhile, the ratio Debt / Farm cash receipts has steadily increased along with the ratio Debt / EBITDA. Yet, thanks to the jump in agricultural products prices after 2007, the upward trend for both ratios has stalled but the underlying level of debt is still high.

To clearly see the extent of the impact of these high prices, we have estimated the growth of the physical output in Quebec agriculture. We note several noteworthy trends. First, the most remarkable one is the divergence of the pace of growth of the balance sheet (debt and assets) from farm sales, starting in 1997. In the meantime, overall output growth has been held back since 2007 mainly because aggregate output from livestock productions has not seen any growth.

To put things into perspective, we could calculate the impact of a simultaneous increase of interest rate and decrease in farm cash receipts assuming 2012 farm output and 2012 farm debt.

If farm product prices were to be on par with the average of the 2010-2012 period, then farm sales (excluding direct payments and based on 2012 output) would decrease by 5.5%. Based on a similar price context, we will assume that direct payments represent close to 10% of the farm sales. So overall, farm cash receipts would be 6% lower and consequently EBITDA would be down by almost 20%.

Now, if the average interest rate was raised by 100 bp (1%), interest expenses would be up by 25%.

Combination of both shocks would result in the net cash income generated by Quebec agriculture decreasing by 29%.

What could we say of today’s Quebec agriculture ?

Its aggregate output is not growing.

Its efficiency has been declining for a long period of time.

Yet, its balance sheet has grown tremendously.

Hence, it may be overly exposed to any increase in interest rate and/or reduction in farm product prices.

All this is raising a few questions about the future of Quebec agriculture.

How long may this unique combination of high farm prices and low interest rate last ?

We have shown that simultaneous shocks for both variables would have a marked impact on Quebec agriculture. So, answering that question is key in assessing the risk of a severe downturn for Quebec agriculture in the foreseeable future. This is even more relevant when only considering the additional capital that will be required to ensure the transfer of assets from exiting farms, either to the next generation or to existing farms.

How can Quebec agriculture increase its output ?

Demographics and consumption patterns may impose some drag on dairy and poultry production. There would be some opportunities for the beef industry if only it could structure an actual value-chain. Crops have seen some dynamism and there is some room left for growth. As to Quebec hog production, output growth will be determined by the ability of meat processors to grow market share domestically and abroad which in turn questions the competitiveness of hog producers.

How can Quebec agriculture increase its efficiency ?

Answering that question will obviously be different from one production to the other. However, it will most certainly require investments to reach the right combination of economies of scale, of innovation in production [productivity], marketing [adding value] and management.

However, there may be some uncertainty as to the remaining financial capacity to invest within Quebec agriculture ? Are there enough farms able to carry on these investments ? If so, what could be done to strengthen them ? If not, what would be the consequences of a smaller agriculture in Quebec ?

This has already been said by many : Quebec agriculture needs a vision, a strategy, and a proper public policy to support it.

Du lin, du lait : concilier environnement et santé.

NOTE : Ce texte reprend des recherches amorcées en 2013 lorsque je travaillais avec ÉcoRessources Inc qui m’a aimablement autorisé à les partager ici.

Les bovins émettent du méthane à travers le processus biologique de fermentation entérique. En 2009, ces émissions représentaient au Québec 2 480 ktCO2eq. (2009). L’amélioration de la productivité des animaux, la modification de l’alimentation et de certaines pratiques de régie du troupeau peuvent conduire à la réduction des émissions de méthane issues de la fermentation entérique. En reprenant le livre blanc du projet Cow of the Future mené par l’Innovation Center for US Dairy, une réduction de 25% des émissions de méthane par la fermentation entérique chez les vaches laitières est possible d’ici 2020. Selon les travaux scientifiques rassemblés dans ce document, environ 10 à 12% des réductions proviendraient des programmes actuels d’amélioration génétique ou de l’utilisation de technologies existantes. Le programme américain repose sur l’exploration de 5 voies de réduction : i) utilisation de composé réduisant la production de méthane dans le rumen, ii) amélioration de l’efficacité alimentaire à travers la qualité et la composition de la ration, iii) introduction de nouveaux critères d’amélioration génétique, iv) pratiques de régie améliorant le productivité individuelle des vaches, et v) pratiques de régie de troupeau réduisant le nombre d’animaux-jours improductifs.

Dans le même temps, la France a reconnu, et fait reconnaître par la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), un protocole de réduction des émissions de méthane d’origine digestive par l’apport dans l’alimentation des vaches laitières de sources naturelles en Acide Alpha Linolénique (ALA). Ce protocole a été vérifié pour la première fois en 2013. Les travaux sous-jacents à ce protocole ont aussi fait l’objet d’un brevet déposé aux États-Unis. Ce protocole est administré par l’Association Bleu-Blanc-Cœur.

Par ailleurs, l’utilisation de sources naturelles en acide alpha linolénique modifie le profil des acides gras du lait en particulier en augmentant la proportion d’acide gras insaturés tels que les omégas 3, améliorant ainsi la qualité nutritionnelle du lait. Il est intéressant de noter ici qu’historiquement l’Association Bleu-Blanc-Cœur fut créée pour développer et promouvoir des filières de produits alimentaires riches en oméga 3.

Ce protocole fait aussi l’objet d’un projet de recherche à l’Université Laval (projet VacCO2, Département des sciences animales,Faculté des sciences de l’Agriculture et de l’Alimentation) qui vise à évaluer, dans le contexte québécois,l’utilisation de la graine de lin extrudée dans l’alimentation de la vache laitière (l’incorporation de graines de lins extrudées est une des sources en acide alpha linolénique considérées par le protocole). Le projet Vacco2, est le pendant québécois du projet Cow2réalisé par Danone ailleurs dans le monde (France, Allemagne, Belgique, Brésil, Espagne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque et États-Unis).

A la lumière de ce qui précède, il y aurait une belle opportunité de créer, au Québec, une filière de réduction des émissions de méthane par les vaches laitières grâce à la modification de leur ration alimentaire, en particulier par l’introduction de graines de lins extrudées. En plus de contribuer à la réduction des émissions de méthane au niveau des fermes laitières, cette filière pourrait aussi appuyer le développement de la culture du lin oléagineux au Québec. Ainsi, si nous considérons le cas de l‘introduction de graines de lins extrudées (0.7 kg/vache/jour), la quantité de lin utilisée dans le cadre du programme serait de 12,000 à 77,000 tonnes, selon le nombre de vaches concernées.

Sur la base des informations disponibles pour le programme de l’Association Bleu-Blanc-Cœur, nous estimons les réductions de méthane par l’application d’une ration alimentaire conforme au protocole à 0.3 tCO2eq/vache/an.

Notons ici que, si la culture du lin se développe au Québec dans le cadre de cette filière, cela pourrait aussi contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre car la culture du lin est peu exigeante en intrants, notamment azotés. Tout dépend alors des substitutions opérées dans les rotations culturales. Si l’on compare les empreintes carbone du lin avec celles du canola et du blé dans le contexte des Prairies canadiennes, on constate une empreinte moindre pour le lin de l’ordre de 0.5 tCO2 eq/ha/an.

Nombre de vaches laitières concernées Graines de lin extrudées consommées Estimation des surfaces à cultiver en lin Réduction des émissions de méthane
50,000 vaches 12,800 tonnes 6,000 ha 18,000 tCO2eq/an
100,000 vaches 25,600 tonnes 12,000 ha 36,000 tCO2eq/an
150,000 vaches 38,400 tonnes 18,000 ha 54,000 tCO2eq/an
200,000 vaches 51,200 tonnes 24,000 ha 72,000 tCO2eq/an
300,000 vaches 76,800 tonnes 36,000 ha 108,000 tCO2eq/an

En outre, comme souligné précédemment, les modifications de la ration alimentaire couvertes par ce protocole peuvent induire une amélioration du profil nutritionnel du lait produit. Cette amélioration pourrait servir de base à une valorisation supplémentaire du lait.